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veilleur1
2025-06-02
Bulletin n° 19    A 2

#Principal :
culture numérique
numérique responsable
technique métier
#Secondaire :
entreprise
RSE
Interêt :
stratégie
Média :
actu
Web
Objectif :
comprendre
savoir
Pestel+ :
écologique
technologique

Retour sur les « Rencontres Cifre, la recherche en action ! » autour du thème : «L’empreinte environnementale du numérique au cœur de la recherche». Un événement tourné vers la recherche appliquée et les enjeux environnementaux du numérique Le 31 mars 2025, s’est tenue dans les locaux du Cigref à Paris la première édition des « Rencontres Cifre : la recherche en action ! », présidée par Xavier Guchet, professeur de philosophie, d’épistémologie et d’éthique des techniques à l’Université de Technologie de Compiègne (UTC). Cette séance, organisée par le Cigref en partenariat avec l’ANRT, a offert aux doctorants et docteurs Cifre l’occasion d’échanger avec les grands acteurs du numérique autour d’un enjeu essentiel : l’empreinte environnementale du numérique.

Trois interventions inspirantes ont mis en lumière la richesse des thèses menées en entreprise grâce au dispositif Cifre : Bénédicte Kongo (IMT Atlantique / Orange) a présenté une analyse fine des impacts sociétaux, économiques et environnementaux en s’inspirant d’un cadre méthodologique holistique, le DPSIR (Driving Forces-Pressures-State-Impacts-Responses) croisant empreinte environnementale du numérique, son impact sur l’écosystème, et sa viabilité économique. Adrien Berthelot (ENS Lyon / Octo Technology) a démontré comment il est possible d’évaluer de façon accélérée l’empreinte environnementale d’un système d’information, pour guider les décisions stratégiques. Thibault Simon (Université de Lille / Orange Innovation) a proposé des outils pour mesurer et réduire concrètement l’empreinte des logiciels. Ces interventions, dont voici une synthèse ci-dessous, ont permis d’éclairer le rôle essentiel des recherches partenariales dans la transition vers un numérique plus sobre, plus juste, plus responsable. « DPSIR », un cadre méthodologique de diagnostic et d’action, par Bénédicte Kongo Un cadre d’analyse pour relier impacts environnementaux et stratégies d’action Bénédicte Kongo est doctorante Cifre en 1ère année de thèse à l’IMT Atlantique (École doctorale SPIN – Sciences pour l’ingénieur et le numérique), en partenariat avec Orange (Lannion). Son sujet de recherche porte sur les « Impacts environnementaux, économiques, sociaux, et sociétaux des infrastructures numériques ». Bénédicte Kongo rappelle le contexte dans lequel nous nous situons : le numérique représente aujourd’hui 4% des émissions mondiales de carbone. Si rien n’est fait, le numérique pourrait représenter 40% des émissions mondiales d’ici à 2024 (Belkhir et Elmeligi, 2018). Bénédicte Kongo propose dans ses travaux de recherche un cadre méthodologique qui combine évaluation (de l’empreinte environnementale du numérique) et action (pour arriver à un numérique plus soutenable). Plusieurs normes, cadres méthodologiques existent déjà comme la norme ITU-T L.1410 ou le référentiel par catégorie de produit (RCP) des services numériques de l’ADEME. Ces méthodes se basent sur l’analyse de cycle de vie (ACV), une approche multicritère permettant d’évaluer l’empreinte environnementale d’un produit ou service tout au long de son cycle de vie, de l’extraction des matières à la fin de vie. Mais ces référentiels se concentrent majoritairement sur le changement climatique et quelques indicateurs additionnels. L’impact sur la biodiversité par exemple est très peu pris en compte. L’ACV se concentre aussi beaucoup sur les produits et services de l’entreprise sans prendre nécessairement en compte l’ensemble des acteurs de l’écosystème concerné. De la méthode à la transformation des écosystèmes Bénédicte Kongo propose alors de s’inspirer du modèle DPSIR afin de prendre en compte ces différentes composantes. DPSIR signifie : Driving forces (forces motrices) ; Pressures (pressions) ; State (Etat) ; Impacts ; Responses (Réponses) Ce modèle a été développé par l’Agence européenne pour l’environnement en 1999. Il permet une analyse systémique des relations entre la société et l’environnement. Il peut être utilisé pour éclairer la prise de décision et le passage à l’action. Ce modèle s’adressait initialement aux politiques pour adapter les politiques publiques. Mais il est aussi adapté aux entreprises car il permet : D’évaluer de manière holistique l’impact environnemental d’un produit/service/projet. D’évaluer les risques, opportunités et dépendances de l’entreprise par rapport à la nature. De remodeler les activités de l’entreprise si nécessaire. Le cadre DPSIR établit une série de liens de causalité. Les facteurs de pression (secteurs économiques, activités humaines) entraînent des pressions (changement d’utilisation des terres et des mers, pollution, surexploitation des espèces, changement climatique, espèces invasives), qui influencent l’état de la nature (conditions physiques, chimiques et biologiques), et génèrent des impacts sur les écosystèmes, la santé humaine et leurs fonctions. Ces éléments conduisent finalement à des réponses politiques (définition des priorités, fixation d’objectifs, indicateurs). Dans le cadre des travaux de recherche de Bénédicte Kongo, ce modèle permettra d’évaluer l’impact de scénarios pour atteindre la neutralité carbone en entreprise ou dans la société. L’analyse des impacts à travers le modèle DPSIR met en évidence la nécessité de l’implication de multiples acteurs dans l’évaluation de l’empreinte environnementale, soulignant ainsi l’importance d’un écosystème d’acteurs structuré et collaboratif. Face aux défis du changement climatique, une approche purement technologique ou centrée sur un seul acteur ne saurait suffire. Il est donc essentiel de favoriser une synergie entre tous les acteurs, de redéfinir l’écosystème et de renforcer les liens (nouveaux modèles d’affaires, …) qui les unissent pour une action collective plus efficace de réduction de l’empreinte environnementale. Empreinte environnementale du numérique : quels leviers de réductions pour quelles échelles ? Par Adrien Berthelot De l’importance des ACV (analyses de cycle de vie) et d’une évaluation multicritère Adrien Berthelot est docteur de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon (École Doctorale Informatique et Mathématiques), et a réalisé sa thèse Cifre en partenariat avec Octo Technology et Inria, de novembre 2021 à novembre 2024. Les travaux de recherche d’Adrien Berthelot ont porté sur l’apport de l’analyse de cycle de vie (ACV) de services numériques dans l’évaluation de l’empreinte environnementale complète d’un usage numérique. Il insiste sur la prise en compte essentiel de tout l’écosystème technique que couvrent nos usages numériques, qui peuvent être définis comme « des consommations de services reposant autant sur des terminaux individuels que sur des infrastructures de communication, calcul et stockage. » Il insiste sur l’importance fondamentale de ne pas réduire les évaluations de l’empreinte du numérique à la seule consommation d’électricité. La prise en compte de multiples indicateurs est essentielle si l’on veut avoir une vision globale. Ils permettent d’évaluer pour tout le cycle de vie par exemple l’acidification des océans, l’utilisation de ressources en minéraux et métaux, l’utilisation de ressources fossiles, les radiations ionisantes, la consommation en eau, etc. Les évaluations ACV permettent d’éviter les transferts d’impacts tels que : Les possibles transferts géographiques, comme le fait de délocaliser des tâches sur des data centers à l’étranger; Les transferts entre phases du cycle de vie : multiplier les systèmes distribués sans-fil type IoT, qui consomment moins à l’usage mais plus en fabrication ; Les transferts entre les impacts eux-mêmes : déplacer des tâches de data center dans une région qui produit de l’électricité issue d’énergie verte comme le solaire ou l’éolien, mais avec la nécessité de consommer beaucoup d’eau dans une région qui peut être en stress hydrique. Étude de cas : l’empreinte environnementale de l’IA générative Adrien Berthelot nous a partagé deux cas d’usage permettant d’illustrer les apports de l’ACV. L’un de ces cas d’usage portait sur un service d’intelligence artificielle générative. Lorsque nous parlons de l’empreinte de l’IA, nous pensons communément à l’impact de son usage ou à son coût énergétique en termes d’apprentissage. Or, le périmètre ACV montre la complexité de bout en bout d’une véritable évaluation de l’empreinte d’un service IA générative. Ainsi une ACV dite « attributionnel » doit prendre en compte : les terminaux utilisateurs, les réseaux, l’hébergement web, une inférence faite dans un GPU d’un data center, l’entraînement du modèle, ou encore le stockage des données servant à l’entraînement. Les résultats permettent de mieux comprendre la distribution de l’empreinte entre les différentes parties du service. Trois grands pôles ressortent sur la distribution des impacts : l’équipement, l’inférence et l’entraînement. En revanche, il n’y a pas une unique catégorie qui domine l’ensemble des impacts. L’approche ACV fait cependant l’objet de nécessaires hypothèses. Par exemple, le taux d’utilisation actif des serveurs a dû faire l’objet d’une hypothèse chez un cloud provider qui n’occupe pas à 100% toutes ses machines. Le taux d’utilisation actif (AUR) est toujours difficile à établir. L’approche « service » fait également partie des limites de la thèse d’Adrien Berthelot, due à la complexité d’évaluation des différentes couches à prendre en compte dans les services d’IA. En effet, en plus du modèle de fondation de l’IA, s’ajoutent des coûts d’entrainement sur des données d’entreprises, et des entraînements supplémentaires dit « fine tuning » à l’échelle de l’utilisation et des sessions d’utilisation. En conclusion, la question qui devrait se poser ne serait-elle pas désormais : comment un service numérique influence les différentes infrastructures dont il bénéfice ? On pourrait ainsi conceptualiser les différentes parties du service numérique comme des infrastructures permettant au logiciel de s’exécuter pour satisfaire le besoin de l’utilisateur. Ainsi, les terminaux et les sous-services qu’ils intègrent (le transport des données via les réseaux, le stockage ou le traitement de ces données..) peuvent être évalués comme étant en soi une partie d’une infrastructure spécialisée. Le manuscrit de thèse d’Adrien Berthelot ainsi que l’ensemble de ses travaux sont disponibles à cette adresse : https://adrien-berthelot.fr/